RH, RSE et PACTE

vers une nouvelle donne ?

La loi PACTE a l’ambition de modifier la place de l’entreprise dans la société civile et ses relations avec ses parties prenantes. S’agissant du personnel l’évolution a commencé de longue date et son aboutissement interroge sur le devenir de la fonction ressources humaines.

Abordant l’urgence écologique lors d’une réunion du Medef, à la veille du One Planet Summit, le ministre de la Transition écologique et solidaire de l’époque, Nicolas Hulot, a évoqué  la nécessité de l’évolution de l’objet social des entreprises au-delà du « simple profit », et une réforme conduisant « vraisemblablement à modifier le Code civil ». Suite à l’inquiétude exprimée par l’organisation patronale que cette orientation facilite toutes sortes de contentieux, le gouvernement a confié une mission intitulée « Entreprise et intérêt général » à Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et présidente de l’agence de notation extra-financière Vigeo-Eiris, et Jean-Dominique Senard, à la tête du groupe Michelin et de l’association Entreprises pour l’Environnement. La mission a débuté le 5 janvier 2018. Au terme de 200 consultations le rapport qui contenait 14 grandes recommandations, explicitement destiné à alimenter le projet de loi en cours, a été remis le 9 mars 2018. Dans le prolongement de ce rapport, le Plan d’Actions pour la Croissance et la Transformation des Entreprises, dit loi PACTE,  vise à faire évoluer la place de l’entreprise dans la société. Dans une logique de transformation graduelle,  une disposition est imposée aux entreprises et deux autres sont proposées. La nouvelle rédaction de l’article L 1833 du code civil créée au côté de l’obligation initiale et traditionnelle de gérer la société dans son intérêt social, celle de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. C’est l’avancée minimale, et obligatoire, que puisse faire l’entreprise vers la Responsabilité Sociale des Entreprises, telle que définie par la  Commission Européenne, dans sa 3ème Communication sur la RSE (2011) « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société ». En 2001 l’UE avait toutefois dans un Livre Vert de la Responsabilité Sociale des Entreprises donné une définition plus large « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes. Être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir «davantage» dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties prenantes ». Selon la norme ISO 26000, la RSE est « la responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement , se traduisant par un comportement éthique et transparent qui – contribue au développement durable , y compris à la santé et au bien-être de la société ;- prend en compte les attentes des parties prenantes ;- respecte les lois en vigueur et qui est en accord avec les normes internationales de comportement ; et qui est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations ». L’entreprise fait partie d’un écosystème et a dorénavant l’obligation de le prendre en compte. Les deux autres dispositions de la loi PACTE lui proposent d’aller plus loin, et au final d’agir favorablement sur son écosystème. L’article 1835 du code civil ouvre maintenant la possibilité d’inscrire dans les statuts d’une société sa « raison d’être , constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Selon Martin Richer, responsable du pôle « Entreprise Travail & Emploi » de Terra Nova, la raison d’être définit « le sens profond des activités d’une entreprise, la finalité du projet qu’elle développe, qui associe ses parties prenantes vers des objectifs librement consentis et exprime ses apports vis-à-vis d’elles ». La raison d’être apparaît ainsi comme la constante sur laquelle s’appuient les stratégies successives suivies par l’entreprise en fonction de l’évolution de son environnement. Elle peut avoir des effets très concrets. Les auteurs du livre blanc sur les sociétés de mission du Groupe InVivo l’appliquent à la disparition de Kodack, indiquant que si les statuts avaient définit une raison d’être, par exemple « mettre la création d’images au service de tous, et quand chacun le souhaite »,  au lieu de se définir par son métier qui était la fabrication de produits dans le domaine de la photographie, l’entreprise aurait peut-être survécu au passage de l’argentique aux nouvelle technologies. La traditionnelle lettre de voeux de Larry Fink, le CEO de BlackRock , aux dirigeants des entreprises dans lesquelles le fonds investit pour le compte de ses clients, rappelle l’importance de la raison d’être : « les entreprises qui accomplissent leur raison d’être et leurs responsabilités envers leurs parties prenantes en récoltent les fruits à long terme ; celles qui les ignorent trébuchent et échouent ». S’inscrivant dans la Responsabilité Sociale de l’Entreprise, la raison d’être ne peut pas être définie unilatéralement. Dans le cas contraire elle ne serait qu’un effet de communication sans contenu. Son élaboration doit impliquer les parties prenantes dont les salariés de l’entreprise. La deuxième proposition qui est faite aux entreprises, est de s’annoncer « société à mission ». 

L’article L 210-10 du code du commerce réserve cette appellation aux entreprises qui ont inscrit leur raison d’être dans leurs statuts et qui au-delà, précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité. Les statuts doivent en outre préciser les modalités du suivi de l’exécution de la mission et de son contrôle indépendant. La mission comme la raison d’être, inscrites dans les statuts, sont opposables aux actionnaires et aux mandataires sociaux successifs et peuvent mettre à l’abri l’entreprise et ses parties prenantes, dont les salariés, des tactiques financières à court terme qui sont l’apanage de certains fonds d’investissements. Relevons que L’étude publiée par France Stratégie en 2016 sur « Responsabilité sociale des entreprises et compétitivité » observait sur un vaste échantillon d’entreprises françaises, un écart positif de performance économique de 13 % en faveur de celles qui mettent en place des pratiques de RSE, cet écart atteignant son maximum à 20 % pour la dimension « ressources humaines ». Raison d’être et mission ne sont pas incompatibles avec la rémunération de l’investissement.

L’ANDRH a diffusé très récemment un livre blanc intitulé « RH & RSE à la croisée des chemins ». La préface rédigée par la Ministre de l’Economie et des Finances rappelle les principaux défis qui nous attendent: le réchauffement climatique, la destruction de la biodiversité, la hausse des inégalités et la brutalité des révolutions technologiques. Il présente la responsabilité sociale des entreprises comme l’une des clés majeures, aux côtés des pouvoirs publics, permettant de gérer positivement ces profondes transformations. La mission confiée à Jean-Dominique Sénard et Nicole Notat puis la loi PACTE s’inscrivent dans cette vision qui renforce le rôle résolument stratégique de la gestion des ressources humaines. Le Ministre conclue d’ailleurs « La RSE est un moyen pour y répondre. En tant que professionnel des ressources humaines, vous êtes son premier relai ». Le résultat de l’enquête menée par l’ANDRH et la lecture des témoignages font apparaître que la RSE est transversale dans l’entreprise mais que RSE et fonction Ressources Humaines sont naturellement proches. Il ressort en effet que « les valeurs qu’ils ou elles portent rejoignent facilement les objectifs de la responsabilité sociale et sociétale des entreprises », qu’il y a par conséquent une « logique à leur confier les dimensions sociales d’une politique RSE, car elles s’articulent avec la politique RH » ou encore que «les questions de la parole des salariés, de la responsabilité des uns et des autres, du management participatif, du parcours professionnel ou encore de l’employabilité des collaborateurs font vraiment partie des enjeux RH, qui sont aussi des enjeux sociétaux». Les travaux relèvent que la prise en compte de la RSE s’accompagne de l’évolution des pratiques professionnelles dans deux dimensions. D’une part est constatée une vision élargie au-delà du cadre de l’entreprise, qui prend en compte les parties prenantes externes qu’il s’agisse par exemple des  relations avec les acteurs du territoire, les sous-traitants, ou de l’environnement. Cette vision élargie amène à prendre en compte différemment les parties prenantes internes et à s’intéresser naturellement au bien-être des salariés. 61% des RH évoquent un renforcement de la transversalité qui facilite une plus grand proximité aussi bien avec la direction générale, les directions dédiées, la direction de la communication, mais aussi l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices qui peuvent changer leur perception de la fonction. D’autre part les RH observent que « plus impliquées, les parties prenantes expriment des attentes fortes et font surtout preuve d’une plus grande vigilance vis-à-vis des actions des entreprises ». En interne le personnel demande « plus d’équilibre et d’égalité ». Dans la même veine, il ressort que «les pratiques changent en incluant de plus en plus de réflexion sur l’équilibre des temps de vie, la santé, la qualité de vie au travail, voire le bien-être au travail, la diversité, l’égalité professionnelle, les nouveaux managements, l’employabilité durable, l’écologie, les nouveaux modes de travail ou de gouvernance, la mobilité ». Toutefois, les professionnels de la fonction ne partagent pas une définition commune de la RSE et attribuent cette disparité à l’insuffisance de leur formation sur le sujet, qui ne ferait pas partie des priorités. Certains opposent la nécessité de se former aux réformes qui se sont enchaînées en droit social depuis 2013 à la RSE, ajoutant «Le temps dédié à traiter des sujets non obligatoires est relativement court. On oscille en permanence entre une dimension opérationnelle incontournable, et une prise du recul avec une vision plus globale». C’est très probablement également la perception de nombreuses directions générales.