L’expérience de la crise sanitaire a démontré que le télétravail était compatible avec le bon fonctionnement de l’entreprise. Son développement questionne les fondamentaux de la relation employeur/salarié et apparaît au final comme un enjeu stratégique pour l’entreprise.
Selon un sondage IFOP de début juillet, 36% des actifs ont expérimenté pendant les deux mois de confinement le travail à distance. Parmi ces 8 millions de salariés ont été concernés majoritairement les catégories supérieures et les professions intermédiaires, et dans une moindre mesure les catégories employé. Les postes ouvriers se prêtent par nature peu au travail à distance et son peu représentés dans ces résultats. Les télétravailleurs, notamment ceux de la région parisienne et des grandes métropoles, expriment massivement leur souhait de ne pas revenir au bureau à temps plein. Cet engouement est exprimé y compris par les dirigeants d’entreprise qui ont découvert le travail à distance en même temps que leurs salariés. Au-delà de la nécessité de poursuivre le télétravail pour limiter le risque de contamination, les entreprises ont des difficultés à faire revenir travailler les salariés sur site. Frédéric Dabi, DGA de l’IFOP, observe que ce travail à distance de masse renforce la « mort du petit chef », bien que Vincent Grimault ait observé une nouvelle forme de perversion à distance. C’est l’une des explications de cette réticence à retourner dans un environnement infantilisant, dont la distanciation imposée a permis de percevoir qu’il était possible de s’en libérer, tout en assumant les missions liées au poste. Cette réticence renvoie à celle de dirigeants et managers, antérieure au confinement, qui craignaient de perdre l’ascendant sur les salariés en cas de développement du télétravail. Le sujet est central, et le travail à distance pose de nombreux questionnements. Les salariés ont démontré très majoritairement que ce télétravail, bien qu’il ait été imposé dans l’urgence, sans préparation ni concertation, était compatible avec la poursuite de leurs missions. De nombreuses directions n’ont pas d’autre choix que de tirer les enseignements de cette expérience. Elles n’auront pas d’argument pour imposer un retour sur site à temps plein. Sauf à décider d’user du rapport de force juridique avec leurs salariés, les entreprises doivent s’emparer des nombreuses questions posées par le télétravail de masse et intégrer ce dernier dans une gestion stratégique de leurs ressources humaines. Cinq questions sont à explorer de manière particulièrement attentive. En premier lieu, sont à prendre en compte les aspects pratiques de la mise en place du télétravail. En second lieu, le travail à distance interroge la nature et l’organisation de la relation hiérarchique. Il interroge également deux fondamentaux du contrat de travail que sont le lieu et le temps de travail. Il impacte fortement l’équilibre vie professionnelle et vie privée et, d’une manière générale, le risque qui pèse sur la santé mentale du salarié. Au final, il peut remettre en cause l’existence même du contrat de travail.
La loi du 24 mars 2020 portant sur l’état d’urgence sanitaire a organisé la mise en place du télétravail obligatoire pour le salarié, chaque fois que cette organisation est compatible avec les activités à réaliser. Il s’agit d’une mesure d’exception qui n’a pas vocation à modifier la cadre juridique existant.Le télétravail peut être exercé sous plusieurs formes. Il peut s’agir du télétravail au domicile, ou de télétravail pendulaire (le salarié exécute son activité dans plusieurs lieux – généralement à son domicile et dans les locaux dans l’entreprise – selon un rythme et des modalités prédéfinies) ou encore de télétravail en centre de proximité (le salarié exerce son activité dans des bureaux équipés et proposés par un opérateur privé) ou enfin de télétravail nomade (le salarié exécute son contrat de travail à l’extérieur de l’entreprise, et conserve un point d’attache dans son entreprise). Le télétravail a été défini par l’accord interprofessionnel du 19 juillet 2005 qui propose la formulation suivante : « Le télétravail est une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information dans le cadre d’un contrat de travail et dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière ». L’article 1229-9 du code du travail a rajouté à cette définition le volontariat du salarié. Trois conditions doivent donc être réunies : le volontariat du salarié, la régularité, et l’utilisation des NTIC (un travailleur à domicile relève d’une autre réglementation). L’accord du 19 juillet 2005 pose clairement le principe du volontariat et précise d’ailleurs que ce volontariat vaut tant pour le salarié que pour l’employeur. L’article 1229-9 du code du travail précise que le refus d’un salarié du télétravail proposé par l’employeur n’est pas un motif de licenciement. Il a en conséquence été jugé que l’ordre donné à un salarié, après la suppression de son bureau, de travailler à son domicile constitue, outre une atteinte à sa vie privée, une modification unilatérale de son contrat l’autorisant à prendre acte d’une rupture du contrat s’analysant en un licenciement. Le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur, voire par un accord direct entre le salarié et l’employeur, formalisé par tout moyen, y compris par simple échange de mail. L’enjeu managérial qu’il représente justifie de privilégier la négociation collective. Ainsi les accords d’entreprise évoquent couramment la marque employeur (bien-être, conciliation vie professionnelle-vie privée, autonomie, responsabilisation), la productivité des salariés et la performance globale de l’entreprise, la gestion de circonstances exceptionnelles ou temporaires (inaptitude temporaire, temps partiel thérapeutique, retour d’un congé maternité) la réduction des accidents liés aux trajets domicile/travail, la réduction du temps de transport, une meilleure qualité des conditions de travail (moins de bruit, moins d’interruptions, moins de stress et de fatigue). La négociation pourra aider à éviter des difficultés futures en abordant des sujets majeurs comme les risques de dissémination d’informations confidentielles en dehors du périmètre informatique sécurisé de l’entreprise, l’ajustement logistique (développement de nouveaux moyens informatiques ou adaptation de moyens existants), le coût spécifique (équipements et redevance versée aux salariés) les conditions d’éligibilité, les modalités de proposition du télétravail, qu’elle émane du salarié ou de l’employeur, celles de sélection des demandes des salariés, la période d’adaptation ou de réversibilité, la participation financière aux frais de télétravail, l’aménagement et le contrôle des temps de travail et de repos, la formation, les conditions particulières de l’évaluation, la gestion de l’accident du travail, le contrôle de la conformité des installations au domicile du travailleur, la formalisation individuelle de la mise en place du télétravail. Le télétravailleur étant plus productif et moins absent, il peut s’avérer pertinent d’anticiper la question de la prise en compte, ou non, de cette contribution particulière dont bénéficie l’entreprise…