Responsabilité de l’employeur
Les conduites addictives
en entreprise
La consommation d’alcool et de drogue en milieu de travail pose des difficultés croissantes de santé publique et de responsabilité de l’employeur. La définition et la mise en œuvre d’une politique, à la fois répressive et préventive, peut être facilitée dans la perspective de relations collaboratives proposées par les réformes actuelles.
Selon la Mission interministérielle de la lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), 15 à 20% des accidents professionnels, de l’absentéisme et des conflits de travail sont liés à l’usage de l’alcool, des stupéfiants ou encore des médicaments. Un sondage Ifop réalisé pour l’association PSRE (spécialisée dans la prévention du risque routier professionnel) en décembre 2011, précise que neuf salariés sur dix disaient participer à un pot d’entreprise par an et six salariés sur dix se déclaraient opposés à l’interdiction de boissons alcoolisées pour sauvegarder la convivialité de ces réunions. Par ailleurs, 10 % des dirigeants, encadrants et personnels RH ont recensé des usagers de cannabis (3e produit le plus consommé après le tabac et l’alcool parmi les salariés) et parmi eux, sept sur dix déclarent au moins un problème lié à cette consommation tels qu’une baisse de productivité et de la qualité du travail, de l’absentéisme, des retards. François Beck, directeur de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) observe dans un article paru dans Paris Match le 12 juin 2015 que les femmes sont moins concernées que les hommes par ces consommations. Il explique qu’en cas de souffrance psychique, les femmes ont plus de facilités à reconnaître la souffrance et à la médicaliser. Elles se tourneront vers les médicaments psychotropes, alors que les hommes entrent plus volontiers en résistance contre l’idée qu’ils sont en train de souffrir. Ils vont plutôt aller chercher une forme d’automédication dans les drogues illicites ou l’alcool. Dans un article paru le 10 avril 2014 dans Le Figaro.fr Economie, suite au premier congrès « Addictologie et travail », Gladys Lutz, présidente de l’association Addictologie et Travail (Additra) faisait observer une tendance à l’augmentation des produits stupéfiants au travail. Cette consommation limitée dans un premier temps aux cadres supérieurs s’étend à d’autres métiers comme des postiers, des coursiers, des VRR. L’article ajoute que ces personnes ne sont pas des toxicomanes mais, pour tenir au travail, bien dormir la nuit ou booster leurs performances, ceux qu’on appelle «les dopés du quotidien» consomment parfois sur le lieu de travail, une à plusieurs fois par jour, plus ou moins en cachette. Au final il est probable que rares soient les entreprises qui ne sont pas confrontées à ces difficultés. Les employeurs sont toutefois souvent désemparés. Selon l’enquête menée par la Mildeca, les trois quart des dirigeants et cadres RH interrogés affirment être bien informés du problème de la consommation d’alcool en entreprise. Pour autant, seule la moitié d’entre eux déclare connaitre les réponses pour y faire face.
L’employeur doit nécessairement prendre en compte les effets sur ses salariés de la consommation de ces substances. Ne serait-ce qu’au titre de son obligation de sécurité il doit éviter que le salarié se mette en danger dans le cadre de son travail ou mette en péril ses collègues ou un tiers.
Il a ainsi été jugé que l’accident survenu à un chauffeur routier en état d’imprégnation alcoolique est un accident du travail dans la mesure où au moment de l’accident le salarié roulait sur l’itinéraire et selon l’horaire fixés par l’employeur et qu’il ne s’était pas soustrait à l’autorité de l’employeur.
Les conséquences de l’inaction ou d’une intervention inappropriée peuvent être lourdes pour l’employeur qui peut engager sa responsabilité pénale pour non-assistance à personne en danger, mise en danger d’autrui, imprudence caractérisée ou encore complicité du délit de conduire en état d’ivresse . A titre d’exemple, suite à une chute mortelle du haut d’un immeuble où un salarié effectuait des travaux, l’employeur a été condamné pénalement pour avoir admis le salarié au travail alors qu’il était en état d’ivresse 4. Sa responsabilité sera d’autant plus évidente s’il a favorisé la consommation à l’intérieur de l’entreprise. En ce sens la pratique des pots entre collègues, qui oblige l’employeur à trouver l’équilibre entre convivialité et sécurité, pose des difficultés particulières. Elle fait d’ailleurs apparaître que l’employeur n’est pas seul responsable. Suite à un repas de fin d’année, organisé dans ses locaux par l’employeur, un salarié perd le contrôle de sa voiture sur son trajet de retour et décède. L’enquête de police établit qu’un alcool fort avait circulé à la fin du repas après le départ de l’employeur. Deux salariés de l’entreprise ont été condamnés pour non-assistance à personne en danger pour avoir laissé la victime prendre son véhicule. L’un d’eux avait quitté le salarié tout en sachant que celui-ci voulait conduire sans être en état de le faire et l’autre lui avait ouvert la barrière du parking5. Avant de décider d’engager la responsabilité de l’employeur les magistrats s’assurent qu’il est bien à l’origine de la consommation d’alcool. Dans cette autre affaire, après un pot de fin d’année organisé par le comité d’entreprise, un salarié provoque un très grave accident ; son taux d’alcoolémie se révélera de 2,3 grammes. Il est condamné en première instance à quatre ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis, mise à l’épreuve et annulation du permis de conduire. Condamné en première instance l’employeur est relaxé en appel, la Cour retenant que le pot était organisé hors du temps de travail, sous la seule responsabilité du comité d’établissement dans le cadre de ses activités sociales et culturelles, et que le chef d’établissement n’y avait participé qu’en simple invité. Sur le plan du droit social, Le Code du travail prévoit une obligation de sécurité à la charge du salarié (L. 4122-1). Il lui incombe « …de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. ». Si un salarié considère que le comportement de l’un de ses collègues peut présenter un danger, il doit alerter immédiatement l’employeur en cas de danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ou celle de son collègue (L. 4131-1). Selon les circonstances il peut également mettre en œuvre son droit de retrait…