ENTRE ÉQUITÉ JURIDIQUE ET PRESSION SOCIÉTALE

L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
ENTRE SALARIÉS

L’égalité de traitement entre salariés est à la fois une obligation juridique et une qualité managériale. Au-delà, la prise en compte d’une réalité objective peut justifier des mesures visant à rétablir l’égalité des chances. Mais dans ce domaine, comme dans bien d’autres, le mieux peut se révéler l’ennemi du bien.

L’égalité entre les personnes, et par conséquent entre les salariés est un droit fondamental proclamé aussi bien par la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 que par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La règle « à travail égal, salaire égal » qui en découle est énoncée incidemment par deux articles du Code du travail. Le premier de ces textes concerne les conditions à remplir par une convention de branche pour être susceptible d’extension. Le second énumère les attributions de la commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle qui doit, en particulier, « suivre annuellement l’application dans les conventions collectives du principe à travail égal, salaire égal ».La  Cour de cassation a posé ce principe en règle impérative en retenant « qu’il s’en déduit que l’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés de l’un ou l’autre sexe, pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique ». Le principe « à travail égal, salaire égal » signifie que si rien ne distingue objectivement deux salariés, ils doivent percevoir le même salaire. Cela vaut également pour les accessoires de rémunération. La Cour de cassation a très vite dépassé le seul thème des salaires pour viser l’égalité de traitement, entendue au sens large, c’est-à-dire englobant l’ensemble des droits individuels et collectifs qu’ils soient financiers ou non, accordés aux salariés en raison de leur appartenance à l’entreprise. La discrimination n’est pas une forme particulière d’inégalité de traitement et les deux notions ne se recouvrent pas.  Il y a discrimination si le traitement défavorable infligé au salarié est fondé sur l’un des motifs prohibé par les textes et notamment l’article L. 1132-1 du Code du travail (par exemple origine, sexe, âge, convictions religieuses). L’existence d’une discrimination n’implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d’autres salariés ». A l’inverse, l’application d’un principe d’égalité de traitement implique, par principe, d’opérer une comparaison entre le salarié qui s’estime victime d’une violation de ce principe et un autre salarié placé dans une même situation à charge de celui qui invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement de démontrer qu’il se trouve dans une situation identique ou similaire à celui auquel il se compare. Une exception à cette règle est toutefois admise lorsque la différence de traitement résulte expressément de la norme qui l’institut. Ainsi, « lorsque la différence de traitement entre des salariés placés dans une situation identique au regard de l’avantage considéré résulte des termes mêmes de l’accord collectif, il y a lieu de faire application du principe d’égalité de traitement sans recourir nécessairement à une comparaison entre salariés de l’entreprise effectuant le même travail ou un travail de valeur égale ». Le principe d’égalité de traitement interdit les mesures discrétionnaires que des employeurs pourraient être tentés de mettre en œuvre. Il a ainsi été jugé que « les augmentations individuelles ne peuvent être accordées de manière purement discrétionnaire et doivent correspondre à des critères objectifs et vérifiables » étant précisé que la seule allégation de la médiocrité du travail du salarié n’est pas reconnue suffisante pour justifier le non-paiement d’une prime collective à un salarié. Une convention collective ne justifie pas davantage une mesure discrétionnaire. Dans cette affaire, une agence de tourisme avait décidé d’attribuer un 13e mois aux accompagnateurs et aux guides-accompagnateurs, la convention collective indiquant que les entreprises devaient s’efforcer « dans la mesure du possible d’accorder une gratification annuelle à tout ou partie de leur personnel ayant au moins six mois d’ancienneté ». La Cour de cassation, donne raison aux autres salariés réclamant le même avantage en précisant «qu’il appartenait à l’employeur de justifier la décision de ne le verser qu’à une seule partie des salariés de l’agence ». Il en est de même des bonus discrétionnaires fréquemment prévus au contrat de travail. Il a en effet été jugé que « l’employeur ne peut opposer son pouvoir discrétionnaire pour se soustraire à son obligation de justifier, de façon objective et pertinente, une différence de rémunération », ce qui ne remet pas en cause le fait que l’employeur peut parfaitement verser des bonus discrétionnaires sans s’appuyer sur des critères objectifs préalablement déterminés. Le bonus est discrétionnaire vis-à-vis de l’intéressé, mais ne doit pas rompre le principe d’égalité de traitement de salariés placés dans la même situation.

Egalité de traitement ne veut pas dire égalitarisme et la réalité de l’entreprise peut être prise en compte.  L’employeur peut justifier un écart de rémunération entre des salariés ayant un travail égal ou de valeur égale en invoquant une différence portant sur les responsabilités et la charge de travail du salarié mieux rémunéré  ou la meilleure connaissance d’un site à surveiller s’agissant d’un agent de sécurité incendie. Les diplômes peuvent également justifier une différence de salaire entre ingénieurs, certains ayant  bénéficié d’une formation moins généraliste et immédiatement en phase avec l’activité de l’entreprise. La qualité du travail fourni peut bien entendu être une explication de la différence de traitement mais encore faut-il pouvoir démontrer qu’elle est différente entre deux salariés. Les compte rendus d’entretiens d’évaluation ou l’historique de tout système d’évaluation seront ici déterminants. Il a également été jugé qu’un employeur est fondé à moins bien rémunérer une salariée s’il prouve qu’elle a connu tout au long de sa carrière des difficultés relationnelles et des insuffisances d’ordre technique ou encore des difficultés à travailler en équipe ou à s’intégrer, le refus de se plier aux directives données.L’ancienneté ou l’assiduité sont également des critères objectifs sous réserve qu’ils ne soient pas pris en compte par ailleurs par  une prime d’ancienneté ou d’assiduité . La réalité du marché de l’emploi est également prise en considération et une différence de salaire est admise en cas de pénurie de candidats y compris entre la salariée remplaçante et la titulaire absente temporairement. Enfin, il a été jugé qu’une différence de rémunération ou d’avantages sociaux pouvait être maintenue suite à la fusion de deux sociétés, en raison de l’antériorité des différences des statuts collectifs, la question étant le plus souvent réglée par un accord d’harmonisation sociale. Concernant les accords, la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l’entrée en vigueur d’un accord collectif ne suffit pas à justifier une différence de traitement sauf si l’accord réserve un avantage aux salariés présents lors de son entrée en vigueur, afin de compenser un préjudice subi par ces derniers, ou si l’employeur démontre qu’il existe des raisons objectives et pertinentes à cette différence de rémunération, autre, que l’accord lui-même, raisons qui peuvent par exemple tenir à la formation, aux fonctions, à l’ancienneté. Est acceptée par conséquent la différence de salaire à  l’embauche d’un salarié après la mise en œuvre d’un accord de réduction du temps de travail prévoyant un maintien de salaire par le biais d’une indemnité différentielle de réduction du salaire de base des salariés en place, ou une indemnité différentielle compensant, pour certains salariés, le passage d’un salaire au pourcentage à un salaire fixe. En revanche, lorsqu’un employeur s’engage par simple volonté contractuelle à maintenir leur statut collectif aux salariés repris, les salariés ultérieurement embauchés dans la même entité et qui effectuent des travaux de même valeur ont droit à ces avantages collectifs…